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Quand le brigand (ou le bohémien) s'invite dans nos crèches provençales
Publié le 8 Juin 2021
Cher(e)s ami(e)s,
Sans entrer dans une tentative d'explications trop savantes, je vous propose humblement et simplement de partager avec vous, l’histoire singulière du bohémien (lou boumian en provençal) d’après la Pastorale Maurel.
Santon patiné Pierre Cadoret
Une précision toutefois, on parle souvent de la Pastorale Maurel comme si c’était l’alpha et l’oméga de la confection des crèches provençales, c’est un raccourci facile mais qui finalement n’est pas complètement dénué de sens.
En effet, A. Maurel s’est très largement inspiré des traditions des noëls du 17ème siècle qui se perpétuèrent de siècle en siècle, de chants dialogués en spectacles de marionnettes, et ce sans modifications ni évolutions majeures au fil des décennies.
Antoine Maurel a eu cependant ce coup de génie, celui de ne plus utiliser des marionnettes pour les spectacles de Noël et de les remplacer par des acteurs, donnant ainsi un nouveau souffle à ce type de représentation : sa pastorale était née sous la forme d’une pièce de théâtre en partie jouée, en partie chantée, et allait connaître un succès sans précédent, à la grande satisfaction de générations de spectateurs.
Sans doute sans l’avoir vraiment recherché, il allait malgré tout perpétuer cette tradition séculaire et permettre son enracinement dans la pratique de la crèche provençale domestique où figurent en bonne place tous les personnages de sa pastorale.
Pastorale Maurel (collection personnelle)
Il campe sa pièce dans la Provence de la première moitié du 19ème siècle, dans un univers exclusivement rural et pastoral où prédominent les décors de garrigues et mille senteurs de ce terroir enchanté rendu célèbre par des auteurs comme Frédéric Mistral, Elzéard Rougier et ceux qui suivirent : Daudet, Rostand, Giono, Pagnol, …
Dans ce paradis, évoluent des personnages souvent naïfs, plein de candeur et haut en couleurs pour bon nombre d’entre eux, ils parlent le provençal bien entendu, ils s’invectivent, se disputent, se réconcilient, tout simplement ils s’aiment.
Mais le loup est présent dans la bergerie en la personne du bohémien, que j’ai évoqué lors du précédent article pour expliquer qu’il était inséparable du santon « l’Aveugle et son fils ».
Fouque année 50-60 en 9 cm (collection particulière)
Ce bohémien est un personnage particulièrement intéressant et d’une présence forte au plan symbolique. En effet, comme on l’a vu précédemment, c’est lui qui est à l’origine de la cécité du pauvre homme à qui il a volé un enfant. Comme vous le savez, ce dernier a tant pleuré d’avoir perdu son fils et de l’avoir cherché en vain qu’il en est devenu aveugle de chagrin et appuie en quelque sorte sa destinée sur les épaules du fils qui lui reste (Simon).
Liliane Guiomar : représentation de l'Aveugle et l'enfant
Dans la pastorale, lou Boumian apparaît très rapidement et son personnage est présenté comme un être mauvais et terrible, il a volé cet enfant, mais pas seulement, il truande ceux qui sont fragiles, il manipule les faibles d’esprit… Même si de prime abord il s’apparente au diable, on pressent un esprit intelligent, apte à la réflexion. Du reste, il est le seul à douter de la naissance proche de l’Enfant Jésus en étayant son propos avec des arguments assez fins et cocasses, ainsi et alors même que l’on annonce partout dans le village que le Messie est né et que toute la population est en émoi, il dit : « … Vous croiriez cela ? Comment penser qu’un Dieu vienne mettre son fils avec de pauvres gueux ? … » Tout le long de la pièce, il estime être le seul à pouvoir prédire l’avenir, et en l’occurrence, il n’a pas entendu parler de cet Enfant prodigue… donc il ne voit pas comment Il pourrait être né.
Son intelligence, sa forme de bon sens sont hélas, plus tournées vers la turpitude que vers l’amour du prochain, de ce fait, il est craint par les villageois même s’il est parfois raillé, notamment lorsqu’il décide d’acheter l’ombre du pauvre Pistachier (déjà présenté dans un précédent article). Ce dernier et les autres personnages (Pimpara le rémouleur, Jiget, le valet de ferme) rient et se moquent du Boumian. Pistachier estime avoir gagné facilement de l’argent en lui vendant du vent mais le bohémien sait ce qu’il fait, c’est un manipulateur, il est machiavélique et proclame : « mon idée leur paraît bien sombre (c'est-à dire non comprise en terme de démarche), et semble les avoir surpris. Quand je lui aurai pris son ombre, j’aurais pour moi l’âme et le corps aussi… ». Ainsi, ni Pistachier, ni Jiget, ni Pimpara ont compris réellement le sens profond de l'acte du boumian.
Santons Carbonel: à gauche le modèle initial, à droite le modèle actuel années 70 (collection particulière)
Tout au long de la Pastorale dont le thème principal est bien entendu l’évocation de la naissance du Messie et l’allégresse qui s’en suit, on trouve le bohémien qui symbolise sur lui, toutes les peurs, les craintes, la colère…. Il faut dire que dans cette pièce, il n’a pas usurpé la réputation qui lui est faite, mais la présence de Chicoulet (anciennement Symphorien) enfant qu’il a volé, aura au fur et à mesure une influence positive sur lui.
Santons Carbonel, le brigand et son fils Chicoulet (collection personnelle)
Quelques mots sur Chicoulet, qui tant bien que mal s’approprie les travers de « son » père bohémien et devient à son tour habile dans l’extorsion d’argent, le vol d’objets.
Son attitude est néanmoins touchante, il est bon-enfant et on découvre que, s’il a été volé lorsqu'il était enfant, il a cependant bénéficié de l’affection du bohémien. C’est un élément important qui va faire que pour la première fois, notre regard sur le boumian va changer et à partir de là, on aura une deuxième lecture de ce personnage.
Chicoulet quant à lui, initie bien involontairement le changement d’état d’esprit du bohémien.
Thérèse Neveu, photo extraite du livre: "ma belle santonnière" d'Henri Amouric avec l'autorisation de l'auteur.
Dans la scène 5 de l’acte 2, l’évolution est amorcée, le boumian en a assez de se comporter comme il le fait, il ne se sent plus le même, bien entendu son évolution ne sera pas linéaire mais le changement est palpable. Il dit « … volontiers mon enfant, je dormirai aussi car j’aime le repos mais dans ma vie infâme, jour après jour, j’envie le calme de ton âme..."
Il se sent porté par un nouvel élan et va même jusqu'à confier avoir volé un autre enfant par le passé, ce dernierserait mort depuis, c’étaitle fils de la meunière. Tout porte à croire qu’il l’avait aimé également comme un père sans morale certes, mais comme un père malgré tout.
Santon Gaubert Caillol, milieu XXème siècle 11 cm (collection particulière)
La fin de la pièce est connue, arrivant avec le reste du village devant l’étable de la Nativité, il restitue de fait, Chicoulet à son vrai père, l’Aveugle, ayant recouvré la vue.
Le boumian implore avec une vraie ferveur l’Enfant Jésus, il lui promet de devenir un homme bon, c’est le début de sa rédemption.
Depuis, la place du boumian dans la crèche est plus qu’importante, elle s’impose comme un élément essentiel.
Santon JP Giordano (collection personnelle)
J’ouvre une petite parenthèse pour parler d’un autre personnage qui incarne le mal : le Diable.
Les puristes diront à juste titre que ce dernier n’a pas sa place dans la crèche. Pourtant le santonnier Joseph Montagard a créé ce personnage qui incarne le mal afin de réhabiliter le Boumian et faire en sorte qu'il ne soit plus à jamais, le méchant pour l'éternité. Bien sûr contrairement au bohémien il n’y a pas de rédemption possible pour le Diable. Si ce dernier n’est pas présent dans les crèches ni dans la Pastorale Maurel, on le retrouve dans bon nombre de noëls provençaux. La création de ce diable est particulièrement intéressante au plan sociologique voire même philosophique.
Santons Montagard (collection personnelle)
Autre information : la santonnière Thérèse Neveu a gardé le nom de Chicoulet à l'enfant, restant ainsi conforme à la pastorale Maurel, en revanche elle a baptisé le brigand Ramoun prenant ainsi ses distances avec la tradition. Le fait de lui donner un prénom lui redonne ainsi un côté plus sympathique et acceptable, il n'est plus seulement le brigand, c'est un homme et elle l'appelle Ramoun.
Santon Thérèse Neveu
La triangulation : Aveugle, Bohémien et couple d’enfants est particulièrement "bien huilée" et la présence de tous ces personnages est absolument indissociable. En effet, l’Aveugle ne le serait pas sans le vol perpétré par le Bohémien, le Bohémien n’aurait pas eu cette évolution sans cet acte de restitution de l’enfant volé et enfin chaque enfant, de part et d’autre a joué un rôle moteur dans le soutien à leurs ainés respectifs pour que l'un conserve l'espoir (l'aveugle) et que l'autre sorte des ténèbres et s'approche de la Lumière (le bohémien)
Santons Gerbeaud-Delchamp
Enfin, sachez qu’il y a deux types de bohémien, soit un brigand notamment dans la pastorale Maurel, il est intéressant de voir qu’il est souvent représenté avec la peau claire, une cape, un chapeau pointu et un couteau. Soit on retrouve le bohémien "traditionnel" qui n’a rien à voir avec la pastorale Maurel, il a généralement une peau foncée notamment chez les anciens santonniers, c'est plus un gitan, il appartient aux gens du voyage.
Cela veut donc dire que l'on peut faire côtoyer dans la crèche ces personnages issus de la Pastorale Maurel (aveugle, le bohémien, les enfants) et la compléter d'autres saynètes dont par exemple un camp gitans... pour ceux qui font une représentation de la Camargue.
Petit bohémien auteur inconnu (collection personnelle). Santons Thérèse Neveu la boumiane
Ce dernier est représenté avec un tambourin d’un côté et une besace ou singe de l’autre côté, voir même sous la forme d’un montreur d’ours. Certains artisans l’imaginent aussi avec une guitare. Ce dernier trouve son emplacement dans le camp des gitans alors que le brigand de la Pastorale Maurel doit figurer dans un espace forestier ou suffisamment végétalisé.
Avant de finir, pour tous les passionnés désirant approfondir leurs connaissances à propos des santons de Thérèse Neveu qui illustrent ce billet, je vous recommande le livre très intéressant d'Henri Amouric intitulé: " ma belle santonnière".
Pour finir voici un diaporama avec différentes représentations de ce personnage par des santonniers anciens et contemporains.